Jean Mauclère - Le braconnier de la mer
Le braconnier de la mer
Jean Mauclère
Description
Un éboulis granitique avançant dans la mer, en une langue effilée terminée par un amoncellement de rochers énormes, superposés et distincts, qu’un géant, dirait-on, se serait amusé à empiler : c’est la pointe des Corbeaux, limitant au Sud l’île d’Yeu, ce grain détaché du chapelet des îles bretonnes, et ancré, tout seul au large, à près de dix milles du continent.Certaine tradition assure que ce promontoire doit son nom à deux corbeaux qui y auraient niché fort longtemps, et ne permettaient à aucun animal de leur espèce d’y séjourner. Si vieux soit-il, aucun Islais ne se peut vanter d’avoir connu ces oiseaux insociables ; mais leur départ n’a pas fait moins sauvage ce coin perdu qui reste l’un des plus désolés de l’île. En venant du village de la Croix, tout blanc et coquet, habité par quelques laboureurs et des pêcheurs homardiers dont les barques, au repos, somnolent sur les grèves des anses voisines, le triangle de terre, qui va s’amenuisant sous l’étreinte bleue de la mer, ne présente plus que des champs dont le maigre sol est parfois crevé d’un bloc chauve de roc, et où des vaches mélancoliques, attachées par une corne, paissent avec application l’herbe rare. Ce n’est pas encore la mer, devant qui la falaise oppose son mur, comme fait l’étrave d’un navire, ce n’est déjà plus la terre, avec l’agitation de ses hommes et le chant de ses clochers ; c’est la lande, la lande aride et nue, grillée par le soleil, brûlée par l’embrun, desséchée par les vents du large. Nulle trace humaine ne s’y révèle, sauf une cahute informe et misérable, verrue des guérets pelés, et qui est la demeure du braconnier de la mer.