Pierre Mille - Le bol de Chine ou, divagations sur les beaux-arts
Le bol de Chine ou, divagations sur les beaux-arts
Pierre Mille
Description
Ce n’est rien qu’un bol, une simple écuelle à riz, que modela jadis un artisan de la vieille Chine, pour la jeter ensuite aux grands feux qui font la matière solide, cristalline, comme intérieurement gemmée, égalent enfin l’œuvre des hommes à ces minéraux cristallins qu’a recuits l’ardeur des volcans. Pas d’ornements, nul décor, rien qu’un émail épais, d’un vert cérulé ; galuchat ou peau de serpent. Mais prenez-le, maniez-le, touchez-le : quelle étrange, quelle nouvelle impression de beauté ! Et d’où vient-elle ?… Voici maintenant un buste de bronze. La sévérité même de sa teinte monotone fait que je n’en perçois que la silhouette générale et les traits principaux. Je clos mes paupières, j’abolis mon regard, je palpe, je tâte en aveugle ; et ce sont des muscles, une charpente, une pulpe vivante, des accents qui se révèlent. Oh ! la joie, le pouvoir, la « connaissance » qui se cachaient dans mes mains, et que j’ignorais ! Mais alors que j’ai des mots qui attribuent des causes aux voluptés de mes yeux, qui « nomment » des détails, définissent des caractères, motivent des sensations, ici je ne puis aller plus loin — je n’ai plus de langage parce que je n’ai plus d’idées : seules des impressions infiniment profondes, infiniment vagues, indéfinissables, obscures.